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Honte et trauma: l'absence de parole intime     le 13/04/2018

Tout trauma peut entraîner une modification de l'image du moi, traduisant une atteinte dans l'ordre symbolique, se cristallisant sous un affect: la honte. Le trauma est toujours l'invasion brutale de l'être par le tout sensationnel, l'occupation absolue par des sensations sans mots, des émotions polyvalentes qui vident l'être de tout langage. Ceci se traduit plus tard dans l'impossibilité qu'a la victime de dire ces instants d'agression dont tout vécu est absent ou de se qualifier alors de "terrorisée, sidérée paralysée, médusée, comme absente, hors de soi-même..." Le sensationnel dans sa brutalité traumatisante et totalisante s'oppose au ressenti et l'annule. Le ressenti est de l'ordre de l'"intime". Les sensations imposées par l'événement traumatique annulent toute révélation de l'intime. Ce qu'a perdu le traumatisé, c'est la capacité de se traduire symboliquement, par la parole, à l'oreille d'un autre. (...) Il s'agit bien d'une perte de "la parole", de ce qui au sein même du langage signifie l'être parlant, car parfois, à côté du silence de stupéfaction, d'inhibition, il peut persister des bribes de langue: un discours logorrhéique plus ou moins vide de sens d'où l'auteur est toujours absent. La victime constate qu'elle n'y est pas, qu'elle n'existe pas (de ex-sistere) puisqu'elle ne parle pas. Elle est privée de référence à la loi (qui est la loi du langage et de la parole) lors de l'agression et par là sa vie n'en est pas une puisqu'elle n'est plus l'effet d'une demande et d'une réponse (de je à tu), de cet échange sans cesse renouvelé qui constitue le courant de la vie. La victime le constate en l'exprimant sous forme de: "Je ne vis plus, je survis mais ce n'est plus une vie". Qu'est-ce que l'intime? C'est le point extrême de l'intimus, dans la définition du dictionnaire: "ce qui est le plus en-dedans, le plus profond" où sourd ce qui fait les éléments de la parole, c'est-à-dire les signifiants porteurs de celui-là même qui ressent. C'est là où naît ce qui va devenir la parole. C'est la source composite du langage qui porte le désir de l'être. C'est le lieu où se manifestent au présent les éléments de l'histoire porteurs du sujet résonnant sous le choc des mots de celui ou de celle qui parle. Autrement dit, l'intime, c'est la manifestation d'un acte de vie. C'est le lieu de formation du parlêtre. L'intime est en fragilité car, pour se révéler, il est dans l'exigence d'une ouverture sur soi, c'est-à-dire sur les événements adéquats de son histoire à l'instant présent, sous l'acceptation des mots qui en naissent à la fois sous son propre dynamisme et sous la réception des mots d'un autre. Pour être dans l'intimité, il faut être au moins deux en lien de parole, sinon c'est le repli sur ce que l'on croit être le secret, de son coeur par exemple. Car la notion d'intime se lie avec celle d'accord avec l'autre, celui dont on est proche, qui vous entend et vous répond: l'intime. Grâce à cette mise en intimité la parole circule entre les personnes, et les êtres se révèlent comme vivants. Le trauma, c'est l'annulation du point de la naissance de la révélation, de ce qui parle d'un Autre à un autre pour un autre, autrement dit de ce qui fait l'être, le fait vivre. Ainsi, les attitudes, les actions violentes, même portées par le seul langage d'un agresseur, peuvent bloquer la naissance de la parole et par là même la manifestation de vie. Toute mise en scène mensongère stérilise la source intime des événements langagiers porteurs de celui qui parle. L'ennemi de la parole est le mensonge, quelle qu'en soit l'origine ou la justification. Le mensonge reçu tue toute parole de vérité. La honte comme symptôme. Revenu de l'explosion sensationnelle, du laminage émotionnel, le langage n'est perdu que pour un temps ou pas perdu du tout. Mais, s'il est possible, ce n'est plus qu'un discours de traduction des sentiments, des émotions post-traumatiques, de colère ou de honte par exemple, des images de soi, mais pas du ressenti. Ce langage là est une représentation du moi fourni en abondance par les sens, mais pas du sujet de la parole qui s'origine à l'intime. Ce qu'a perdu le traumatisé, c'est la capacité de se traduire symboliquement, par la parole, à l'oreille d'un autre. Il lui manque cette faculté proprement humaine sans qu'il sache ce que c'est. Il n'est pas à égalité avec tout autre réputé non pas discourir mais parler. La honte se constitue ainsi d'une infériorité par déficience au point traducteur de l'humanité en chacun. La honte peut se dire. Dire sa honte est au plus près de l'atteinte traumatique, mais ne change rien au méfait du trauma. La honte: c'est de ne pas être à égalité avec les autres. C'est être marqué par un défaut, au sens de manque, être par là en infériorité. (…) L'étymologie du terme "honte" renvoie à "honnir", vouer quelqu'un à la honte publique, à la désapprobation générale. Il sous-entend l'humiliation, le déshonneur, l'indignité. (…) La honte est conjuguée au vide, à l'impossibilité d'exister car elle est typiquement non symbolisable, puisque représentant l'absence de parole. Se départir de la honte c'est pouvoir quitter le monde du fantasme surgi du trauma où les sentiments, les sensations recomposent un moi aléatoire au fil des remémorations obsessionnelles, des épuisements dus au sommeil bouleversé de cauchemars, des rencontres d'intervenants bien intentionnés qui, voulant protéger la personne agressée dans son statut de victime, lui retaillent un uniforme de handicapée à la mesure de ce qu'ils savent. Le décollement du fantasme ne peut s'opérer qu'au prix d'un lien de parole avec un autre en position d'altérité radicale, d'un Autre: le lieu où ça parle. Ce travail ne peut se faire qu'avec cet Autre témoin de l'origine de la parole, ne trouvant pas de sens à la honte et au fantasme qui la porte (…) l'intime renaît au coeur de la victime honteuse quand cet Autre est là.


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Commentaires

Saresca le 16/04/2018 à 16h46min47s

De mon point de vue cette explication est très bonne, mais un peu extrême, suggérant que le traumatisme bloque entièrement l'accès à la pleine conscience et que donc tout le langage qui émane est faux, à moins qu'une rencontre déterminante avec un grand Autre ait lieu. Je pense qu'il vaut la peine d'explorer la possibilité des étapes intermédiaires, des moments de prise de conscience découlant de rencontres partielles, fugitives, avec de petits autres, susceptibles de ramener à l'intimité du moi. En évoluant en contexte favorable, ce qui était partiel ou fulgurant gagner en volume, se stabiliser et réellement devenir une voie d'accès privilégiée vers un inconscient dont le langage devient décryptable.